Résidence de création artistique performative à la Villa Kujoyama – Août-décembre 2021

Quatre créations, 25 villes, plusieurs artistes partenaires, des dizaines de complices…

Choralités Transcontinentales fut un voyage d’écoute à la découverte et à la collecte de sons et de mémoires vocales à travers le pays. Dans un second temps, j’ai tenté d’harmoniser, orchestrer, tisser ces voix dans des performances chorales mêlant installation, théâtre, musique et mouvement.

Tout mon travail s’articule et se construit autour de l’écoute au sens le plus généreux. L’écoute de soi et de l’autre, l’écoute de l’espace intérieur et de l’espace extérieur. C’est à partir d’une expérience partagée d’écoute de la voix de différentes personnes, d’âges, provenances, métiers et horizons divers, que j’essaie de tisser la trame de mes créations. J’essaie d’harmoniser les voix discordantes et de chercher la symphonie à partir de la cacophonie.

Ces compositions se déploient dans des performances et des actions artistiques dans l’espace public. La prise de conscience de la diversité et des histoires multiples derrière et à côté de « l’Histoire » ouvre des possibilités infinies d’échange, de partage et de relativisation de nos propres cultures. Nous ne sommes pas seuls et de nombreuses voix résonnent dans notre propre voix.

Nous jouons ensemble avec les sons, les bruits et les silences du monde. L’idée est de transporter le spectateur vers une autre perception de la réalité de tous les jours, l’invitant à la voir soudainement transformée, différente de l’image usée par la routine à laquelle nos yeux, nos oreilles et notre corps se sont habitués… L’expérience artistique peut potentiellement transformer les espaces intérieurs et extérieurs. Et ici, c’est grâce aux matériaux vocaux et à la disponibilité créative de chaque performer que nous avons, ensemble, reconstruit l’espace environnant en prenant, tout d’abord, le temps de l’écouter, de nous écouter les un.e.s les autres.

A la Villa Kujoyama, je poursuis donc mon engagement dans des projets hybrides, multilingues et participatifs en lien direct avec les réseaux éducatifs et culturels du Kansai mais aussi avec des artistes venu.e.s d’autres régions du pays, notamment des membres de la communauté Ainu (de Hokkaido) et des musiciens-chanteurs traditionnels d’Okinawa.

La présence et la survie de multiples cultures souvent marginalisées au sein d’une culture dite « dominante » est un thème qui m’est très cher. Je suis sensible à toute forme de colonialisme (et de néocolonialisme) et à comment ces mécanismes font taire la « polyphonie » au profit d’une voix hégémonique. Je viens moi-même d’un pays dont la lourde histoire coloniale a décimé durant des siècles les peuples originaires. Alors, j’ai rêvé de tracer une ligne Nord-Sud qui va d’Hokkaido à Okinawa, deux îles/archipels tardivement annexés à l’empire japonais et donc toujours dépositaires d’un riche patrimoine culturel et vocal que j’ai cherché à écouter et à faire écouter dans leur diversité au-delà de leurs limites géographiques historiques. Je voulais réunir ces deux « musicalités » au sein d’un même espace-temps performatif, en résonance pleine et équitable avec les voix du Japon d’aujourd’hui.

A travers un travail simultané auprès de plusieurs acteurs-performeurs, empruntant et détournant des motifs de la composition musicale (polyphonie, contrepoint, ostinato), j’entreprends d’explorer et redimensionner, par la vocalité en mouvement, la perception de l’espace public et du temps présent.

Le séjour fut riche de multiples rencontres dont la puissance transformatrice a opéré et opère encore dans ma manière de concevoir et partager le travail, de relativiser ses postulats et ses limites, de penser de nouvelles formes de médiation interculturelle. L’expérience artistique – surtout quand il s’agit d’un art performatif et collectif, inévitablement aux prises avec le présent – nous pousse à devenir constamment traducteurs de nous-mêmes. Un séjour prolongé dans un pays lointain aux codes socio-culturels et au substrat poétique si différents de nos schémas et mythologies occidentales, met en avant cette potentialité « transcodificatrice » par une conscience plus complexe et plus mouvante de l’être humain, de l’être social et de l’être-ensemble.

Cela nous recadre et nous remet en place en tant que praticiens d’un art non seulement en mutation constant mais inséré dans un réseau de signes et d’affects si pluriels que l’on ne saurait réduire à des formules reproductibles à l’infini, ni à des certitudes trop étanches, trop déconnectées de la réalité, y compris celle (bien dangereuse) de la nécessité absolue de l’art et de son véritable rôle dans la trame complexe du monde.