LA COMPAGNIE
Interpréludes
« Sois pluriel comme l’univers. »
« Sois pluriel comme l’univers. »
« Sois pluriel comme l’univers. »
Depuis sa naissance en 2015, la compagnie Interpréludes se distingue par ses créations et manifestations chorales, pluridisciplinaires et multilingues, proposant toujours de nouvelles formes de penser la relation acteurs-spectateurs.
Nous interrogeons le théâtre avec les outils de la musique et vice-versa. Ainsi, nos créations mettent en valeur la dimension et les rouages musicaux de la scène, aussi bien au niveau de la production et de l’interprétation du texte qu’à celui de la construction du spectacle.
Parallèlement, nous tentons de réinventer, à chaque nouveau projet, la relation scène-salle, performers-spectateurs, par une remise en question permanente du dispositif, qui n’est jamais le même d’un spectacle à l’autre. Plutôt qu’un espace de représentation, nous le pensons comme un déclencheur de relations à partir desquelles émerge la dramaturgie.
Nous partageons pleinement le postulat de Bernard Dort selon lequel le théâtre est « une polyphonie signifiante ouverte sur le spectateur ».
Cette polyphonie – métaphore et concentré du monde – est faite de sons, certes, mais également de mots, de gestes, de lumières, de couleurs, de tensions, de pulsions, de passions, de questions s’entrechoquant et s’harmonisant tour à tour dans l’espace de jeu.
La voix incarne particulièrement bien cette « épaisseur » en tension. Le mélange de timbres, de couleurs, d’harmoniques, la superposition de textures et densités sonores crée, transforme et met en mouvement des espaces de perception et réception aussi complexes que la pluralité de « drames » déclenchés à la fois par les artistes et par les spectateurs.
Axes
de réflexion
« L’écoute de la musique me propose un chemin immédiat, une solution visuelle, soit une action, d’un personnage, soit un chemin pour résoudre une contradiction psychologique, quelque chose qu’il nous cacherait, soit simplement un déplacement dans l’espace. Je ne réduis pas la musique à la psychologie ; mais la musique me donne tout de suite, immédiatement, plusieurs possibilités de mettre en scène une action, de faire voir une pensée, de l’incarner et de la transformer en une occupation précise de l’espace. » – Patrice Chéreau
À chacune de nos créations, nous essayons d’être à l’écoute de l’espace où il nous est donné de les jouer. C’est un ressort dramaturgique à part entière et le projet, quel qu’il soit, se doit d’y être perméable. C’est en ce sens que nous revendiquons l’idée de choralité dans la conception et l’agencement même du dispositif. L’espace est co-créateur du drame. Le lieu transformera l’œuvre en construction au même titre que l’œuvre transformera le lieu. Chaque œuvre doit trouver son espace.
Cela résonne tout naturellement dans la conception du dispositif scénique que nous adoptons pour telle ou telle création. Ce choix est, certes, dramaturgique – comment pourrait-il en être autrement ? – mais dans la mesure où notre « état d’esprit dramaturgique » est impulsé par une pensée sonore, rythmique, plutôt que d’être (uniquement) une affaire de « fable », la charpente dramaturgique de ces créations, c’est-à-dire, le cadre dans lequel elles s’érigent et se meuvent, est avant tout musicale.
Un même espace, pris en tant que tel, ne peut pas accueillir tous les drames. Si, justement, toute dramaturgie est un réseau de vecteurs signifiants qui s’entrecroisent dans le temps et l’espace de la performance – et cet espace inclut aussi, évidemment, les spectateurs – il est impossible que cette désorganisation conceptuelle de l’homme et du monde que propose le théâtre – ou du moins le théâtre auquel nous croyons – ne contamine pas aussi les murs (ou les hors-les-murs) qui l’abritent et permettent sa rencontre avec les spectateurs.
L’écoute attentive de l’espace et la prise en compte de ses spécificités par la dramaturgie permet de creuser une autre question fondamentale du théâtre : la relation entre performers et spectateurs.
C’est, en effet, l’un des axes principaux de notre travail et chaque nouvelle création revisite différemment cette question et propose de nouvelles alternatives d’interaction entre ces deux instances indispensables à l’acte théâtral. On s’efforce de problématiser cette interaction en ce qu’elle peut apporter d’ « émancipateur » non pas tant aux spectateurs mais surtout aux acteurs. C’est-à-dire, mettre à l’épreuve l’écoute de ces derniers et leur porosité au présent par le contact direct avec les spectateurs.
Il est tentant de se dire que le public vient au théâtre chercher quelque chose que nous, les acteurs, sommes en mesure de leur donner.
C’est-à-dire que l’on pose trop souvent la question « quel effet voulons-nous produire chez le spectateur ? », ou « comment vais-je bien pourvoir capter l’attention du spectateur ? », ou encore « comment sortir le spectateur de sa (prétendue) passivité ? », alors que rarement nous nous demandons « quel effet le spectateur va-t-il produire sur moi ? » ; « que change-t-il dans mon jeu si, au lieu d’essayer d’attirer son attention, c’est plutôt la mienne qui est attirée par lui ? ».
Ainsi, sans perdre de vue cette différenciation essentielle des rôles d’acteurs et spectateurs, nécessaires tous deux à l’entretien du pacte théâtral, nous avons essayé de la complexifier en rendant ses frontières moins étanches et en cherchant pour l’acteur un endroit d’étonnement et d’imprévisibilité proche de celui du spectateur. Nous cherchons une place dans le tissu dramaturgique étendu dans l’espace qui lui permette d’avoir moins de certitudes, moins de contenance, une place qui puisse le mettre davantage en état d’alerte, d’écoute et d’émerveillement renouvelé au contact de l’autre.
Transformer une idée en matière concrète, un rêve en action, une intuition poétique en moteur de création que l’on partage avec une communauté de plus en plus vaste et engagée. C’est dans ce partage actif et ce va-et-vient nécessaire et stimulant entre concept et expérience, abstraction et mise en œuvre, papier et plateau, qu’elle trouve son sens et son épanouissement en tant qu’exercice responsable de production et transmission de signes et de sens. Autant de nouveaux chemins d’apprentissage du monde et de l’autre.
L’art reste encore le moyen le plus puissant de désorganisation féconde de la vie, de désobéissance créative aux règles dont on ne sait plus pourquoi on les suit, de transformation sensible de la vie sans rien lui imposer ; au contraire, en lui opposant une dé-traduction encore inédite qui l’invite à se relire elle-même à partir de sa propre expérience du monde. Carnavalesque, protéiforme et « cacosymphonique », l’art demeure – fétichismes, opportunismes et mercantilismes à part – le meilleur chemin de reconstruction et de partage du sensible.
C’est à partir d’une pulsion d’harmonie, d’une pensée dramaturgique qui contient déjà en sa genèse cette volupté chorale, qu’il sera possible de (ré)concilier ces voix errantes en un contrepoint auquel l’on semble souvent aspirer sans d’abord oser, simplement, y prêter l’oreille. Penser le théâtre comme une choralité n’est pas seulement penser à la communauté des spectateurs ou peupler la scène d’actrices et d’acteurs pour rendre compte de la pluralité du monde. C’est aussi penser la création comme un réseau de signes, une trame dynamique de subjectivités en action où chaque ligne doit être entendue tout en étant inscrite dans une harmonie qui la transcende.
Chercher la symphonie au sein de la cacophonie !